Le financier Pierre Condamin-Gerbier a livré aux juges, mardi 2 juillet, des informations précises sur les activités offshore de l’homme d’affaires Alexandre Allard en lien avec l’ancien ministre Renaud Donnedieu de Vabres (UMP). Il a également cité, mais avec plus de prudence, le nom de Laurent Fabius (PS), sa famille pouvant détenir des avoirs non déclarés en Suisse.
Il a commencé à confier ses secrets à la justice. Le financier Pierre Condamin-Gerbier a livré sur procès-verbal, mardi 2 juillet, devant les juges Renaud Van Ruymbeke et Roger Le Loire, des informations précises sur les activités financières offshore de l’homme d’affaires Alexandre Allard en lien avec l’ancien ministre Renaud Donnedieu de Vabres (UMP), selon plusieurs sources concordantes. Il a également cité, mais avec plus de prudence, le nom de l’actuel ministre des affaires étrangères, Laurent Fabius (PS), sa famille pouvant détenir des avoirs non déclarés en Suisse grâce à plusieurs opérations commerciales sur le marché de l’art, d’après les mêmes sources.
Français établi en Suisse de longue date, Pierre Condamin-Gerbier a eu à connaître personnellement de nombreuses situations de fraude et d’évasion fiscales dans sa carrière débutée en 1994 – voir son long entretien avec Mediapart ici et là. Il a notamment travaillé entre 2006 et 2010, comme associé-gérant de Reyl Private office, le “family office” de la société de gestion genevoise Reyl & Cie, l’un des établissements financiers ayant géré puis abrité les avoirs occultes de l’ancien ministre du budget Jérôme Cahuzac.
’est à ce titre que Pierre Condamin-Gerbier a été entendu pendant près de huit heures, mardi, par les deux magistrats chargés depuis quelques semaines d’une enquête pour« blanchiment de fraude fiscale » visant la société Reyl.
Selon les informations obtenues par Mediapart, confirmées de plusieurs sources, le témoin a détaillé devant les juges tous les montages opaques mis en place par Reyl au profit du richissime homme d’affaires français Alexandre Allard, propriétaire notamment de l’hôtel de luxe Royal Monceau, à Paris.
En 2007, au lendemain de la victoire de Nicolas Sarkozy, Alexandre Allard, exilé fiscal depuis 2002 (après la vente de ConsoData, une base de données marketing), avait décidé de regagner l’Hexagone. Sa fortune s’élevait alors à quelques centaines de millions d’euros, placés entre la Suisse et le Luxembourg.
Or, comme l’a expliqué Pierre Condamin-Gerbier aux juges parisiens, la maison Reyl & Cie a entièrement piloté le retour fiscal de l’entrepreneur qui s’avère être le cousin par alliance de François Reyl. C’est par le biais d’investissements portés par de complexes montages, passant principalement par le Luxembourg, qu’Alexandre Allard a pu rapatrier une partie de son patrimoine. Le but était de faire en sorte que sa fortune apparaisse comme bien moindre que ce qu’elle était en réalité. Avec, à la clé, la perspective de payer moins d’impôts sur le revenu et les plus-values.
M. Condamin-Gerbier a lui-même participé à cette opération d’« optimisation fiscale » (dont la frontière entre ce qui est légal ou pas est floue) : son nom figure en qualité de gérant dans l’une des sociétés luxembourgeoises – Paris Palace S.a.r.l – qui agissait pour le compte d’Alexandre Allard, comme le montrent des documents en possession de Mediapart.
La maison Reyl a travaillé d’arrache-pied pour injecter une partie du patrimoine de M. Allard dans le rachat du palace parisien Royal Monceau en 2008. Grâce aux différents montages, il fallait donner l’apparence que le jeune entrepreneur agissait de concert avec d’autres investisseurs, alors qu’en réalité, il détenait une partie des structures de ces “autres” investisseurs. Puis les efforts se sont portés sur le grandiose projet de “La Royale” qui prévoyait de transformer l’hôtel de la Marine (l’ancien garde-meuble du roi situé place de la Concorde) en un haut lieu de la création artistique, mais qui n’a finalement pas abouti.
Sur ce dernier point, Pierre Condamin-Gerbier a raconté comment le projet de l’hôtel de la Marine avait été attentivement suivi par l’ancien ministre du budget, Éric Woerth, et en dernier lieu par le président Nicolas Sarkozy lui-même.
Alexandre Allard, pour qui le tapis rouge avait été déroulé, s’était également entouré des services de Renaud Donnedieu de Vabres. Pierre Condamin-Gerbier a affirmé à Mediapart que l’ancien ministre de la culture, déjà mis en examen à plusieurs reprises dans l’affaire Takieddine, avait été rémunéré, pour partie, sur des comptes non déclarés au Luxembourg et en Suisse, via Reyl & Cie. « J'ai été employé d'une société française pour des projets français, rien d'autre. Je n'ai jamais eu la moindre rémunération provenant de l'étranger », a réagi M. Donnedieu de Vabres après la publication de l'article.
En revanche, Reyl & Cie n’est pas directement en cause dans les déclarations de M. Condamin-Gerbier concernant d’éventuels avoirs non déclarés de la famille Fabius. Le témoin a dit avoir été personnellement destinataire de confidences d’un cadre bancaire sur des opérations financières liées au marché de l’art impliquant la banque privée Pictet.
Les ventes d’art évoquées par Pierre Condamin-Gerbier sur P.-V. auraient eu lieu au port franc de Genève. Avec une précision : les avoirs détenus par les Fabius seraient abrités par un trust propriétaire d’une société luxembourgeoise, selon le témoin, qui n’a toutefois pas donné de précisions supplémentaires (dates, noms, montants…). « Je ne suis, concernant les Fabius, qu’un témoin indirect. Je n’ai pas d’information concrète », tempère Pierre Condamin-Gerbier à Mediapart.
Le nom des Fabius a toujours été associé au monde de l’art et des antiquaires, que ce soit via la célèbre galerie familiale “Fabius Frères” ou la maison d’enchères Piasa, dont Laurent Fabius est actionnaire depuis 2007.
Fondée en 1882 par Élie Fabius, le grand-père du ministre, la galerie “Fabius Frères” a, elle, fermé ses portes en 2011 après avoir dispersé sa magnifique collection à la faveur d’une vente record de 9,6 millions d’euros. Dans les actes récents déposés au tribunal commerce de Paris, Laurent Fabius n’apparaît pas comme actionnaire direct de la galerie. En revanche, il est l’héritier de ces deux plus célèbres propriétaires, son père, André, et son oncle, Pierre. Le ministre aurait-il hérité d’argent – ou de pratiques occultes – qu’il n’a pas régularisé ?
« Laurent Fabius m’a dit n’être au courant de quoi que ce soit concernant sa famille. À sa connaissance, il n’y a rien. Et le concernant personnellement, c’est une certitude : il n’y a rien », affirme Me Jean-Michel Darrois, son avocat.
Rencontré par Mediapart dans son bureau du Quai d’Orsay, le 5 avril dernier, Laurent Fabius nous avait déjà démenti détenir le moindre avoir caché à l’étranger. « Je n’ai aucun compte, ni en Suisse, ni ailleurs. Je n’ai absolument aucun compte, je n’en ai jamais eu », avait-il déclaré. À cette date, Mediapart avait été mis sur la piste de placements supposés de M. Fabius dans un grand établissement bancaire suisse.
« Cela fait plus de vingt ans que je vois Laurent Fabius prendre toutes les précautions possibles et imaginables pour rester dans la légalité. Je ne crois pas une seconde qu’il puisse y avoir quelque chose », confie un membre du gouvernement à Mediapart.
L’enquête des juges Van Ruymbeke et Le Loire étant, pour l’heure, circonscrite aux seules pratiques de Reyl & Cie, un élargissement du champ des investigations est aujourd’hui nécessaire pour que la justice puisse confirmer ou infirmer les confidences de Pierre Condamin-Gerbier sur la banque Pictet et la famille Fabius. Seul le parquet de Paris est susceptible de procéder à cet élargissement par le biais d’un acte judiciaire appelé “supplétif”, que les juges devraient en toute logique réclamer.
Un autre membre de la famille Fabius intéresse la justice. Le parquet de Paris enquête sur les conditions d’achat en juin 2012 par le fils du ministre, Thomas Fabius, d’un appartement parisien de 280 m2 pour 7 millions d’euros, alors qu’il ne paie pas d’impôt sur le revenu, selon Le Point. Au cabinet de Laurent Fabius, il avait été indiqué que le fils du ministre « n'avait bénéficié d'aucune donation ou héritage familial » qui puisse expliquer un tel achat. D’après nos informations, le procureur de la République de Paris pourrait décider d’ouvrir une information judiciaire sur cette affaire dans les prochains jours.
Mediapart publie le second et dernier volet d’un long entretien accordé, fin mai, à Genève, par le financier Pierre Condamin-Gerbier sur les arcanes de la fraude fiscale et du blanchiment d’argent sale. Français établi de longue date à Genève, celui qui est parfois surnommé “PCG” a été entendu, ce mercredi 3 juillet, par la commission d’enquête parlementaire sur l’affaire Cahuzac, dont il est un témoin-clé.
“PCG”© dr
« On a la chance, au travers de l’affaire Cahuzac, d’avoir un pan du voile qui s’est soulevé, finissons de lever le drap. Il y a vraiment des choses à dire », explique aujourd’hui Pierre Condamin-Gerbier, dont certaines déclarations font trembler la classe politique française.
“PCG” a d'ailleurs été entendu, mardi 2 juillet, pendant près de huit heures par les juges Renaud Van Ruymbeke et Roger Le Loire, chargés d'une enquête sur les pratiques présumées illicites de la banque genevoise Reyl. Devant la commission parlementaire, M. Condamin-Gerbier a d'ailleurs précisé mercredi avoir donné aux magistrats une liste nominative de personnalités françaises ayant détenu des avoirs cachés en Suisse : « La liste et les éléments d'informations dont j'ai fait état dans les médias depuis quelques semaines a été transmise [mardi] dans sa grande majorité, à la justice française ».
Dans ce second volet de notre entretien, le financier aborde, toujours de manière chronologique, sa découverte de l’industrialisation de la fraude fiscale au sein de deux établissements bancaires qui ont beaucoup fait parler d’eux ces derniers mois : UBS et Reyl & Cie. Deux banques où l’ancien ministre du budget Jérôme Cahuzac avait dissimulé ses avoirs occultes. Verbatim.
DE LONDRES À NEUCHÂTEL
« Le moment de l’indépendance arrive pour moi en 2002. Je décide de créer ma propre société à Londres, qui s’appelle Mandarin Fortune, une petite SARL classique. Je prends sous le bras mon assistante qui me suit depuis plusieurs années. Je démarre avec des clients qui me connaissent bien, avec un gros volume d’affaires.
On fait du vrai family office avec une palette de services très larges. On propose des services qui intéressent beaucoup de familles françaises et internationales. À Londres, je quitte complètement le monde de l’offshore fraudeur. On continue, certes, à être sollicités sur des questions de délocalisation pour des motifs fiscaux, mais dans des environnements clairs et transparents. On reste très impliqués dans le conseil en structuration fiscale mais pas pour des motifs de fraude même si on continue à voir passer des dossiers.
À Mandarin, j’avais un investisseur pour capitaliser un peu plus que ce que mes deniers personnels permettaient pour pouvoir recruter des gens dès le départ. La société se développe rapidement. Cet investisseur me dit qu’il y a des gens qui s’intéressent à ce qu’on fait et qui voudraient prendre une participation dans la société. J’y suis favorable, cela me permettrait de sortir avec une belle plus-value.
L’investisseur en question est une petite banque privée à Neuchâtel, la banque Bonhôte, créée au XIXe siècle. L’actionnaire majoritaire est un Français, Jean Berthoud, résidant en Suisse. Je le rencontre. Il me raconte l’histoire de cette banque, que son fondateur, qui n’avait pas d’héritier, a vendue à un opérateur d’électricité suisse, si mon souvenir est exact.
On vend donc à Bonhôte à la condition que je quitte Londres pour venir m’installer en Suisse afin de développer mon activité de family office à Neuchâtel.
Très rapidement, je m’aperçois qu’il y a une guerre entre Berthoud et deux coactionnaires (un autre Français et un Anglais). En décembre 2004, quelques mois après mon arrivée, les deux coactionnaires me proposent finalement de quitter Bonhôte. Je refuse. Ils partent. Je me retrouve avec Berthoud qui avoue que le family office était une envie de l’un des actionnaires démissionnaires, et qu’il ne faut pas que je compte sur lui pour me soutenir dans mon développement. Par contre, il m’annonce ce qu’il dit être une bonne nouvelle pour moi : il vient de vendre une partie de son activité à l’UBS. En un mot, il me vend. Et voilà comment j’arrive à UBS.
J’annonce dès le départ que je ne resterai pas longtemps car, à UBS, ils sont dans un métier qui n’est pas le mien. Être à nouveau dans une énorme banque n’est pas ce que je cherche à faire et je sais très bien que toute l’activité de family office ne les intéresse pas.
À l’intérieur du portefeuille vendu à UBS par Bonhôte, il y a essentiellement des clients français non déclarés qui avaient choisi Neuchâtel parce que c'est moins exposé que Genève, et parce que, dans ces fortunes là, il y a beaucoup de clients de l’industrie de luxe en France : comme beaucoup de ces grands groupes ont des marques horlogères, ils viennent donc très régulièrement en Suisse, particulièrement dans le canton de Neuchâtel.
LES PETITES BOÎTES EN BOIS D’UBS
Avec mon arrivée à UBS, je suis transféré à Genève et je me retrouve à l’intérieur du marché “France”, ce que, à Paris, la banque présente sous le nom de “UBS France International”. Il y a trois départements : les “key clients”, qui représentent plus de 50 millions de francs suisses ; les “high net worth”, entre 10 et 50 millions ; et les “core affluent” : quelques centaines de milliers de francs à 10 millions.
Dès le premier jour, je comprends où je suis tombé. Je remarque par exemple que tout le monde dispose de deux boîtes en bois sur son bureau. Et à partir de 18 heures, chaque soir, tout le monde va mettre ces boîtes dans un coffre, au fond de la salle. Tout le monde range religieusement ses deux boîtes.
Quand je demande ce que sont ces deux boîtes, on me répond : « C’est le “kardex”. » Au départ, il s’agit d’une marque suisse-allemande de rangement de bureau. Chaque gestionnaire a ses boîtes, avec ses fiches Bristol manuscrites. Sur chacune figure le nom du client, ses coordonnées, quelques renseignements pratiques – certains clients ont plusieurs fiches – et, en haut à droite, un numéro de référence. Dans l’autre boîte, il y a le même nombre de fiches, avec le numéro de référence et tous les renseignements purement financiers concernant le ou les comptes ouverts par le client.
Le “kardex”, c’est clairement une comptabilité parallèle des gestionnaires suisses de la France offshore. Il y a même des clients qui appellent de cabines téléphoniques, par discrétion. Ce système sert notamment à faire en sorte que certaines infos ne soient pas rentrées dans le système informatique de l’UBS en Suisse. Tout cela est validé au plus haut niveau.
De mon côté, j’attends d’avoir un entretien avec les dirigeants du groupe pour leur dire que je suis un peu chez eux par défaut. On me laisse entendre tout de même que certains clients seraient intéressés par mes conseils en family office.
Tout l’immeuble où je suis, place Bel-Air, appartient à l’UBS. Les étages sont répartis par zone géographique. De mémoire, il y a : Russie, Espagne, Amérique latine, France et une toute petite partie Moyen-Orient. La France est au quatrième étage. Elle l’occupe entièrement. En tout, une trentaine de personnes travaillent à l’étage “France”, dans mon souvenir.
DES COMPTES NON DÉCLARÉS
Tous les gestionnaires, les chargés d’affaires (CA), tout le monde est en open space. Paradoxalement, il n’y a aucun respect de la confidentialité. Et moi, je suis installé au milieu de cet open space. J’entends donc tout ce que les chargés d’affaires disent. Très vite, je découvre que je suis au milieu d’une énorme machine à laver et à blanchir. La plupart des clients résidents en France sont des clients non déclarés et je découvre des pratiques de James Bond de bas étage.
On me donne par exemple un ordinateur portable équipé d’un système Citrix, avec un code de six chiffres permettant d’effacer le contenu de l’ordinateur en quelques secondes si nécessaire au moment de passer une douane. Tout le monde m’explique comment faire pour être le plus discret possible. Autre exemple : si je vais en France et que je loge à l’hôtel, il faut m’inscrire sous le nom d’une autre société. On me dit aussi : “Quand tu passes la frontière, vas-y plutôt en jean/t-shirt qu’en costume/cravate.”
On me propose rapidement de travailler avec le conseiller de toutes les grandes familles françaises du CAC 40. On me dit qu’il veut passer du côté banque privée. Quand je demande pourquoi il ne travaille pas à UBS Paris, on me dit que sa femme enseignante a un poste à Genève et qu’il préfère donc rester en Suisse…
Mais petit à petit les langues se délient. Les chargés d’affaires me confirment qu’ils n’ont pratiquement aucun client déclaré. Qu’ils continuent d’apporter de l’argent en liquide à leur client. Il y a bien des valises qui circulent. Ils me confirment les directives qui sont données.
Un ancien d’UBS, C.G., me confie qu’en 2005 environ 80 % du temps des chargés d’affaires français est occupé à l’envoi de dossiers vers la Suisse ; 20 % seulement à l’obtention de clients transparents résidents. D’entrée, on m’avait bien dit : “Tu penses bien qu’un client transparent fiscalement n’ira surtout pas auprès de la filiale parisienne d’une banque suisse.”
Par définition, ils savent dès l’ouverture d’UBS France que, oui, à la marge, ils vont récupérer deux ou trois clients pour leur vendre de l’assurance vie ou une gestion de PEA, mais, dès le premier jour, il y a une intention affichée au plus haut niveau de la direction d’ouvrir ces implantations françaises pour capter cette clientèle française.
Et puis il y a la clientèle politique, qui est très minoritaire, peut-être 2 %. Mais à l’UBS, la volonté affichée derrière les politically exposed person (PEP) n’est pas d’acheter des relations qui vont être financièrement rentables mais d’acheter de l’influence. C’est clairement cela qui est recherché. Plus indirectement, un soutien politique peut être intéressant pour ses propres activités sur le territoire, le jour où on a besoin d’y faire appel.
Il n’y a aucune motivation d’affaires derrière la stratégie PEP. C’est au mieux de l’influence, au pire de la corruption. De ce point de vue, le marché France d’UBS ne fait ni moins ni plus que n’importe quelle autre banque privée de la place de Genève. L’UBS n’a rien inventé. Simplement, ils ont totalement industrialisé la pratique, comme aux États-Unis.
MON ARRIVÉE CHEZ REYL & CIE
Je suis resté à UBS une année, jusqu’en mai 2006. Parmi les gens qui avaient manifesté un intérêt auprès de moi, il y avait la famille Reyl. Après mon arrivée à Genève, j’avais eu l’occasion de rencontrer François Reyl à titre social. Très rapidement, je lui ai fait part de mes frustrations à l’UBS sur le fait que je ne pouvais pas vraiment développer mon activité de family office. Il m’a fait part de sa réelle volonté de développer cette ligne métier (ce qui était vrai à l’époque), d’y investir des moyens, en laissant toute l’indépendance nécessaire par rapport aux pures activités financières.
On s’est rencontrés à plusieurs reprises avec son père, Dominique, avant de signer. C’était il y a sept ans. À l’époque, c’est tout petit, Reyl, avec une vingtaine de personnes, des bureaux très modestes. Ils sont gérants de fortune. Cela représente à peu près 700 millions d’euros de masse sous gestion. La société a été fondée par Dominique Reyl au début des années 1970. Étant Français lui-même, il a réussi à développer une assez belle base de clients.
Il faut bien comprendre qu’il y a eu deux moments chez Reyl : 1973-2002 et après 2002, date de l’arrivée du fils François, avocat, banquier d’affaires, élevé en Suisse, qui a étudié aux États-Unis. Il y a eu un moment où nous étions très proches l’un de l’autre. François est à la fois un excellent technicien et a beaucoup de charisme commercial. Il arrive d’un milieu totalement différent qui est celui de la banque d’affaires et des grands cabinets américains, donc pas du tout dans le monde de la clientèle privée. Mais il s’immerge là-dedans.
1973-2002 : c’est vraiment la période de Dominique Reyl, le père, un gérant de fortune qui a construit sa maison sur un fonds de commerce à base essentiellement de Français non déclarés. Il y avait très peu de clients connus du temps de Dominique Reyl. C’était vraiment provincial.
2002 : arrive François, qui récupère cet héritage, le maintient et continue même à accepter de façon très active des Français non déclarés. Au Crédit suisse, à Londres, il était responsable de tout ce qui était levée de fonds pour des très grands groupes deprivate equity. Il avait donc un très beau réseau d’affaires à titre personnel. Et quand il reprend la société de son père, c’est vrai que Reyl change quasiment du tout au tout. Il crée d’abord une deuxième ligne métier en plus de la gestion des clients privés, qui est toute la gestion institutionnelle via la filiale Reyl Asset Management. Puis il ouvre en 2004 le bureau de Paris.
LE LIEN HERVÉ DREYFUS/NICOLAS SARKOZY
Nous créons ensemble la filiale Reyl Private Office (pour le family office) en 2006 et on développe vraiment notre activité. Étant devenu très proche de son père et surtout de François, je commence à découvrir d’autres aspects de Reyl. Surtout, je comprends la nature de certaines pratiques quand je rencontre Hervé Dreyfus, le demi-frère de Dominique Reyl.
La première fois que nous nous sommes vus, c’était dans les anciens bureaux de Reyl. On me le présente comme travaillant chez Raymond James International où il est gérant de portefeuille à un niveau senior. J’ai plus l’impression que c’est un membre de la famille, de passage à Genève, et on me le présente d’ailleurs comme ça… Il vient passer un week-end en famille, il vient dire bonjour. On ne me le présente pas du tout comme un acteur de Reyl.
Mais très rapidement, Hervé Dreyfus revient dans les bureaux. Dominique Reyl m’invite à les rejoindre pour discuter. Là, Hervé, sans mentionner de nom, m’expose le dossier d’un potentiel client avec des actifs non déclarés en Suisse, qui veut quitter un gros établissement dans lequel il se trouve pour rejoindre une plus petite structure, plus flexible, où il puisse avoir un contact direct avec la direction.
La directive européenne de retenue à la source de l’épargne vient alors d’être introduite, mais comme les Européens n’ont pas utilisé des praticiens pour sortir ces textes, ils n’ont couvert que les comptes détenus en direct par des personnes physiques. Hervé voulait la confirmation que si le compte était ouvert au nom d’une structure, il n’y aurait pas de retenue à la source, tout en préservant l’identité du client. La discussion dure dix minutes et c’est là que je comprends que lorsque Hervé est au bureau, il n’est pas juste là pour rendre visite à sa famille…
Assez régulièrement, il me sollicite ensuite sur tout un tas de questions. Pas toutes liées à des questions fiscales : pour un client qui a des œuvres d’art à vendre, pour un autre qui veut acheter des immeubles. Puis, un jour, je vais voir Hervé dans ses bureaux à Paris, et là, on commence à parler politique. J’ai encore la responsabilité de la délégation UMP suisse.
Hervé me dit qu’il connaît très bien Cécilia Sarkozy, une amie d’enfance. Qu’il est le conseiller patrimonial de Nicolas. On est dans une période post-élection présidentielle de 2007. Hervé me dit qu’il lui rend régulièrement visite à l’Élysée et à son domicile personnel. Il me dit le conseiller sur des opérations immobilières. Il le voit un peu moins qu’avant, évidemment, mais les deux hommes se voient quand même beaucoup.
Le lien avec Sarkozy, tel que je le décris, ressort très clairement des conversations que j’ai pu avoir avec Hervé. Il m’a par exemple dit qu’il avait été son conseiller pour une opération immobilière sur l’île de la Jatte, où M. Sarkozy a eu, je crois, un appartement. J’en suis témoin : dans ses dires, Hervé se considérait comme le conseiller patrimonial principal du client privé Nicolas Sarkozy depuis son mariage avec Cécilia et puis après. Il y a de nombreux réseaux chez Reyl qui sont totalement liés à Sarkozy.
PORTEUR DE VALISES
Notre relation prend une autre dimension quand on me demande de beaucoup travailler sur le cas d’un célèbre entrepreneur français, notamment propriétaire d’un hôtel de luxe à Paris. À un moment donné, ce client me dit qu’il a besoin de cash en France. Il me fait clairement comprendre qu’il faut les lui apporter et que ce montant doit être prélevé sur les avoirs (non déclarés) qu’il détient chez Reyl. Une réunion impromptue s’organise et il est décidé qu’on va utiliser Hervé.
C’est à ce moment là que Dominique Reyl m’a indiqué très clairement que Hervé Dreyfus, parfois, transportait du cash en provenance de Reyl, de Genève vers la France, mais aussi, parfois, ce sont des opérations de compensation qui sont réalisées entre des clients qui ont des excédents de cash d’un côté, recrédités de l’autre côté de la frontière.
On me fait comprendre aussi que Hervé est une source d’apport d’affaires importante. Hervé a des responsabilités au sein de Raymond James International, où il gère une clientèle résidente transparente, mais à chaque fois que, par ses réseaux, il a des besoins d’accompagnement de clients qui souhaitent déposer des actifs non déclarés, il les amène chez son demi-frère. C’est tout ce qui fait le succès de la démarche de Hervé. Tout cela combiné avec le charisme commercial de François Reyl, grâce à qui il y a un taux de conversion de prospect en clients effectifs qui est d’à peu près 100 %.
Ces réseaux sont exploités en bonne intelligence avec Hervé qui fait les présentations et François qui est toutes les semaines à Paris. Il rencontre ses clients sur le territoire français, leur explique tout ce qu’il peut faire. Hervé recommande, François séduit. Dominique Reyl fait très attention de rappeler à tout le monde qu’il est hors de question de rencontrer à Paris des clients qui seront ensuite accompagnés dans les bureaux de Reyl Genève. De faire attention à tous les échanges mails, papier…
En ce qui concerne Cahuzac, je n’ai jamais eu d’informations précises avant les articles de Mediapart. Mais j’ai compris qu’il était chez Reyl grâce à l’enregistrement dans lequel l’interlocuteur de Cahuzac était, sans doute possible, Hervé Dreyfus. »
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